L’Art du Choral
Préludes de chorals de Johann Sebastian Bach
« En ce qui concerne l’exécution des Préludes de chorals, j’ai appris de mon maître, le Capellmeister Bach, qui est encore en vie, de ne pas jouer la mélodie simplement pour elle-même mais en tenant compte du sens des mots » (Johann Gotthilf Ziegler, 1er février 1746). Ce témoignage d’un ancien élève de Bach résume, à lui seul, le propos de cet enregistrement : souligner par la voix, au sein des Préludes de chorals pour orgue de Bach, les mélodies originelles utilisées par le compositeur.
L’un des traits du génie de Bach a été de traduire souverainement en musique le contenu poétique des chorals en usage à son époque. Or, dans ses chefs-d’œuvre pour orgue seul, les textes admirablement suggérés demeurent nécessairement sous-entendus. Avec la complicité des jeunes voix de la Maîtrise du Conservatoire de Rouen et celle de leur chef Pascal Hellot, nous avons tenté une aventure exaltante : sertir les paroles, afin de les exprimer réellement, au sein même du tissu polyphonique instrumental.
Orgue Dominique Thomas (2007)
Église protestante du Bouclier — Strasbourg
Programme ▴
[1 – 12] | Chorals de l’Orgelbüchlein | 21′06 | |
Avent | Nun komm, der Heÿden Heÿland | BWV 599 | |
Noël | Herr Christ, der einig Gottes Sohn | BWV 601 | |
′′ | In dulci jubilo / Nun singet und sei froh | BWV 608 | |
′′ | Vom Himmel hoch, da komm’ ich her | BWV 606 | |
′′ | Der Tag, der ist so freudenreich | BWV 605 | |
′′ | Jesu meine Freude | BWV 610 | |
′′ | Christum wir sollen loben schon | BWV 611 | |
Présentation | Herr Gott, nun schleuß den Himmel auf | BWV 617 | |
Passion | Christe, du Lamm Gottes | BWV 619 | |
Pâques | Christ lag in Todesbanden | BWV 625 | |
Pentecôte | Liebster Jesu, wir sind hier | BWV 634 | |
Consolation | Wer nur den lieben Gott läßt walten | BWV 641 | |
[13 – 18] | Chorals d’Arnstadt et de Weimar | 12′44 | |
Christ lag in Todesbanden – Choral | BWV 695 | ||
Nun freut euch, lieben Christen g’mein – Choral | BWV 734 | ||
Allein Gott in der Höh sey Ehr | BWV 717 | ||
Allein Gott in der Höh sey Ehr | BWV 715 | ||
[19 – 21] | Clavier Übung iii — Autographe de Leipzig | 14′24 | |
Dies sind die heil’gen zehn Geboth | BWV 678 | ||
Nun danket alle Gott | BWV 657 | ||
Christ unser Herr, zum Jordan kam | BWV 684 | ||
[22 – 23] | Chorals Schübler | 5′21 | |
Meine Seele erhebt den Herren | BWV 648 | ||
Ach bleib bey uns Herre Jesu Christ | BWV 649 | ||
[24] | Erbarm’ dich mein, o Herre Gott | BWV 721 | 4′01 |
[25 – 29] | Seÿ gegrüßet, Jesu gütig / O Jesu du edle Gabe | BWV 768 | 9′30 |
Choral | |||
Variatio viii | |||
Variatio ix à 2 Clav. e Ped. | |||
Variatio x à 2 Clav. e Ped. | |||
Variatio xi à 5 voci / in Organo pleno |
L’Art du Choral ▴
L’expérience de faire chanter le cantus firmus au sein même des œuvres pour clavier de Bach a été fascinante, pour nous tous, et parfois même bouleversante lorsque certaines d’entre-elles semblaient se métamorphoser en authentique mouvement de Cantate ou de Passion. Certes, telle n’était pas la destination première de ces pièces d’orgue ; mais la superposition à laquelle nous nous sommes livrés permet un éclairage tout particulièrement dédié aux élèves et aux étudiants qui abordent l’univers du choral.
Pour que le propos soit valablement réalisable sur le plan musical, nous avons puisé parmi les nombreuses compositions de Bach qui exposent la mélodie en valeurs longues, qu’elle soit énoncée seule ou élaborée en canon. Que de merveilles !
Mais au fait, qu’est-ce qu’un choral ?
Depuis le xvie siècle, le choral est le cantique d’assemblée des communautés luthériennes. Leurs mélodies furent soit créées de toute pièce par les compositeurs issus de la Réforme de Martin Luther, soit empruntées aux chants sacrés de l’Église ancienne et au répertoire d’origine profane. Les textes, poésies à la langue et à la versification magnifiques, s’inspiraient de passages bibliques ou de la liturgie de l’Église romaine.
À partir du xixe siècle, en France, on a nommé par extension « choral » toute composition instrumentale utilisant ces mélodies (voire des mélodies nouvelles non sacrées imitant la carrure et le caractère de leurs aînées). Cet usage a donc aussi concerné les chorals pour orgue des maîtres anciens qui, nous l’avons vu, n’étaient pourtant pas destinés à être chantés : les plus concis servaient à préluder au chant de l’assemblée, c’est-à-dire à placer les fidèles « au diapason » de la mélodie en leur suggérant l’un ou l’autre symbole poétique ou théologique des strophes qu’ils étaient sur le point d’entonner ; les plus développés pouvaient se substituer au chant communautaire et offrir un cadre méditatif. Les dénominations anciennes Choralvorspiel (« Prélude de choral ») ou Choralbearbeitung (« élaboration sur un choral ») sont donc bien plus appropriées.
Les recueils conçus par Bach à différentes périodes de sa vie sont tous représentés ici : l’Orgelbüchlein (1715-1723) ou « Petit livre d’orgue » ; les Partite diverse, ou suites de variations (ici des extraits de la grande Partita en sol mineur sur Seÿ gegrüßet, Jesu gütig) ; la Clavier Übung de 1739 (littéralement, et selon une acception moderne par trop restrictive, « exercices pour clavier » : s’il signifie cela, quel intitulé modeste pour ce sommet absolu, véritable « Grand livre d’orgue » !) ; les chorals Schübler, du nom de l’éditeur qui publia ces six extraits de cantates transcrits pour l’orgue par Bach lui-même (1746) ; l’« Autographe de Leipzig » rédigé par le musicien au soir de sa vie (1747-1749) ; ou encore les nombreux chorals « divers », datant des années d’Arnstadt ou de Weimar (1703-1717), qui n’appartenaient pas à un ensemble constitué par Bach lui-même mais purent être recueillis par plusieurs de ses élèves.
Pour ce qui concerne la Partita en sol mineur BWV 768, elle a été d’abord composée sur le choral de la Passion Seÿ gegrüßet, Jesu gütig (5 à 7 strophes selon les sources) avec un nombre réduit de variations. Un manuscrit ultérieur a porté à 11 le nombre des variations, avec un second titre, O Jesu du edle Gabe (10 strophes), dont le texte se chantait en effet sur la même mélodie : nous avons donc adapté aux extraits retenus les strophes correspondantes de ce second cantique, de Sainte-Cène, qui a vraisemblablement inspiré la version élargie de ces Partite diverse.
Un orgue pour Bach ▴
Pour ce nouvel orgue achevé en 2007 pour l’église protestante de la rue du Bouclier à Strasbourg, le facteur d’orgues belge Dominique Thomas s’est inspiré de l’esthétique des orgues de Thuringe au début du xviiie siècle, celle que Bach a côtoyée, affectionnée, illustrée. Cet instrument magnifique se compose de 32 jeux réels répartis sur deux claviers et pédalier ; il a pris place dans le buffet historique de 1790, qui avait contenu un orgue de Conrad Sauer (1735-1802), ancien contremaître de Johann Andreas Silbermann.
i Hauptwerk | ii Hinterwerk | Pedal | |
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56 noten C-g′′′ | 56 noten C-g′′′ | 27 noten C-d′ | |
Quintadena 16 Principal 8 Rohrflœte 8 Gemshorn 8 Viola di Gamba 8 Octava 4 Spitzflöte 4 Quinta 3 Octava 2 Sesquialtera i 13⁄5 Mixtur iv 11⁄3 (*) Zimbeln ii 1⁄2 Fagott 16 Trompete 8 |
Bordun 8 Quintadena 8 Traversflöte 8 Salicional 8 Octava 4 Flœte douce ii 4 (**) Spitzquinta 3 Octav 2 Waldflöte 2 Tertia 13⁄5 Quinta 11⁄3 Mixtur iii 11⁄3 Vox humana 8 Principal 8 (***) Rohrflöte 4 (***) |
Jeux réels : Principalbaß 16 Subbaß 16 Violonbaß 16 Octavbaß 8 Posaunenbaß 16 Emprunts au Hauptwerk : Flötenbaß 8 Gemshornbaß 8 Violabaß 8 Octavbaß 4 Fagottbaß 16 Trompetenbaß 8 |
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II/I – I/P – II/P – Tremulant Diapason : 415 Hz pour le la3 – Tempérament mésotonique au 5e de comma |
(**) Flûte à cheminée seule (1re position), ajout d’une Flûte conique (2e position)
(***) Jeux de continuo, accordés à 440 Hz et en tempérament égal
Presse ▴
Ce disque est un pur bonheur. Il est né d’une idée géniale qui consiste à remplacer le jeu de solo de l’orgue par la voix. Il suffisait d’y penser, le résultat est pour nous une révélation. […] Ce que nous entendons est magique : la mélodie du choral, avec ses paroles, vient se superposer au riche tissu contrapuntique des chorals pour orgue, tirés des grands cycles. […]
La réalisation musicale est ici de tout premier plan : l’utilisation d’un orgue neuf de l’atelier Thomas reconstruit récemment dans une paroisse Strasbourgeoise d’après les modèles de Thuringe du xviiie, contemporains de Bach et un chœur de seize jeunes filles, dirigé par Pascal Hellot, orfèvre en la matière. Cette maîtrise du conservatoire de Rouen possède le sens de cette musique, comme rarement il nous a été donné d’entendre. Perfection de l’émission, homogénéité, sens de la phrase, tout cela est hautement inspiré. Il y a quelque atmosphère angélique dans ce chœur, à la fois fragile et touchant. Leur voix de soprano et d’alto convient parfaitement à la tessiture de ces chorals. […]
François Ménissier, lui, à ses claviers est impérial. Il touche l’orgue avec une classe et une distinction, que nous lui connaissions déjà, et qui se confirme ici plus que jamais. Le choix des jeux, l’équilibre avec le chœur, les enchaînements, les tempi, la subtilité du toucher, tout concourt à une compréhension totale de ces pages que nous croyions bien connaître. […]
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