Vol. 2 « Les Messes retrouvées de Jehan Titelouze »

Les Messes retrouvées de Jehan Titelouze

Hymne, Magnificat & Pièces d’orgue
❧ Volume 2

Fin novembre 2016, le musicologue Laurent Guillo a découvert à la Bibliothèque Universitaire de Fels à l’Institut Catholique de Paris un recueil de vingt-six œuvres du début du xviie siècle, parmi lesquelles figurent quatre messes en musique de Jehan Titelouze (v. 1563-1633), polyphoniste de génie, organiste à la cathédrale de Rouen de la fin du xvie siècle jusqu’à sa mort. L’ensemble Les Meslanges en réalise le premier enregistrement, en deux disques parus respectivement en 2018 et en 2020. Chaque volume présente deux messes vocales, et à l’orgue une hymne et un Magnificat.

Imprimées en 1626, mentionnées depuis longtemps par les catalogues mais réputées perdues, ces messes complètent à présent avec magnificence l’exceptionnel corpus de ses œuvres pour orgue. Elles viennent aussi élargir considérablement le répertoire sacré à la charnière de la Renaissance et de la période baroque. Deux sont à quatre voix (Missa in Ecclesia, Missa Votiva), deux sont à six voix (Missa Simplici corde, Missa Cantate).

Ensemble Les Meslanges, dir. Thomas Van Essen & Volny Hostiou
Cécile Dalmon et Marie Théoleyre, cantus
Raphael Mas, altus
Vincent Lièvre-Picard, altus et tenor
Vincent Bouchot, tenor
Thomas Van Essen, tenor et bassus
Florent Baffi, bassus
Éva Godard et Sarah Dubus, cornets à bouquin
Claire Mac Intyre, Christiane Bopp et Arnaud Brétécher, sacqueboutes
Volny Hostiou, serpent
Liam Fennelly, dessus de viole
Jonathan Dunford et Sylvia Abramowicz, taille de viole
Françoise Enock, basse de viole
François Ménissier
Grand orgue Dominique Thomas — Champcueil (Essonne)

Programme — Vol. 2

[1 – 5] Jehan Titelouze 15′43
Missa Sex Vocum Simplici Corde :
KyrieGloriaCredoSanctusAgnus Dei
[6 – 17] Jehan Titelouze & Jean de Bournonville 12′36
Magnicifat Quinti Toni (12 versets)
[18 – 22] Jehan Titelouze 18′31
Missa Quatuor Vocum Votiva :
KyrieGloriaCredoSanctusAgnus Dei
[23 – 27] Jehan Titelouze 11′13
Hymnus Annue Christe (4 versets) – Amen

Les Messes de Titelouze

 
De la musique d’orgue à la musique vocale

[informations plus complètes sur la page de présentation du Volume 1]

Chacun des deux disques présente, aux côtés d’une Messe vocale à 4 voix et d’une autre à 6 voix (ici respectivement Votiva soutenue par les violes et Simplici corde soutenue par les cuivres), une hymne et un Magnificat pour orgue avec versets chantés alternés.

Dans notre Volume 2, des versets polyphoniques répondent à l’orgue pour le Magnificat Quinti Toni ; ils sont extraits des Octo Cantica Divae Mariae Virginis (1614) de Jean de Bournonville (v. 1585-1632), maître de chapelle de la cathédrale d’Amiens puis directeur de la maîtrise de la Sainte-Chapelle à Paris. En l’absence de polyphonies vocales existantes pour l’hymne Annue Christe, nous avons restitué un plain-chant à partir du cantus firmus tel que Titelouze le présente dans son premier verset d’orgue. Cette hymne pour les Fêtes des saints Apôtres et des Évangélistes avait été abandonnée par le Concile de Trente (1563) mais maintenue par l’usage gallican du diocèse de Rouen, qui comme d’autres dans le royaume de France n’observait pas à la lettre l’uniformité prescrite par Rome. Fait unique au sein de son livre d’orgue, Jehan Titelouze conclut cette hymne au moyen d’une extraordinaire péroraison dédiée à l’Amen, dont la polyphonie haletante évolue sous une pédale de soprano. Son persistant mi aigu couvre la pièce entière, de même que la voûte céleste veille depuis la nuit des temps par-dessus l’agitation du monde terrestre.

Hymne Annue Christe.
Amen, verset conclusif de l’hymne Annue Christe de Jehan Titelouze
(Ballard, 1623, édition originale)

Le « meslange » des voix et des instruments …

Comme toujours à cette époque, les messes de Titelouze sont imprimées en livre de chœur : les parties vocales sont notées en vis-à-vis, séparément, sur deux pages. L’absence de partie instrumentale et de basse continue semble les destiner à des voix seules, toutefois la partition n’impose rien en elle-même… En nous appuyant sur des témoignages du xviie siècle (traités de Charles d’Ambleville en 1636 ou de Jean Baptiste Geoffroy en 1659, ou comptes des archives capitulaires), nous avons fait le choix d’utiliser les instruments avec les voix en colla parte (ou doublure), parfois même en substitution des voix. Nous n’avons pas utilisé la basse continue, ni l’orgue ; l’indépendance des voix dans le contrepoint nous a paru plus valablement assurée par la doublure des cuivres ou des cordes.

… pour une couleur particulière

Ainsi que le rappelle le musicologue Thomas Leconte dans la présentation du livret, les messes de Titelouze ne se fondent a priori pas sur des mélodies existantes de plaint-chant ou de motets, contrairement à la quasi-totalité des messes polyphoniques contemporaines. À la cathédrale de Rouen, Titelouze était l’organiste, pas le maître de musique : il est possible que ses messes furent composées pour des occasions ou cérémonies particulières, extérieures au cursus liturgique. Ne fut-il pas, par exemple, chargé d’organiser la musique de la Sainte-Cécile 1631, ou d’intervenir parfois en l’église des Jésuites de la ville ?

Ces œuvres ont chacune leur style, leurs caractéristiques propres, que nous avons voulu souligner par des choix dans les couleurs vocales et instrumentales.

— Le titre de la messe à quatre voix, Missa Votiva, évoque un office votif, sans lien direct avec le calendrier liturgique, pouvant répondre à la demande d’un célébrant ou d'un commanditaire. Pour cette messe du 4e  ton (mi plagal), nous avons opté pour la parure d'un consort de violes, bien apte à servir son écriture volontiers imitative et rappelant le stile antico de la Renaissance.

— Pour la Missa Simplici corde, écrite à six voix dans un 6e ton empreint de clarté (fa plagal), nous avons souhaité en rehausser la texture plus verticale par l’emploi du cornet à bouquin, du serpent et des sacqueboutes. Il est impossible, pour cette œuvre comme pour la précédente, de déterminer une destination liturgique précise. Thomas Leconte pose l’hypothèse que son titre puisse être tiré d'une expression biblique (Simplici corde, « droiture/simplicité du/de mon cœur ») figurant aux lectures, par exemple, de certains dimanches ordinaires après l’Épiphanie ou la Pentecôte.

[extraits des livrets des deux CD, par Thomas Leconte, François Ménissier et Thomas Van Essen]

L’orgue de Champcueil

Buffet de l’orgue Thomas de l’église de Champcueil. Vue en contre-plongée.
Grand orgue Dominique Thomas (2008-2010)
© Manufacture Thomas / C. Gillot
Dominique Thomas (2008-2010)

Pour l’orgue, notre choix s’est porté sur un instrument neuf construit selon l’esthétique polyphonique franco-flamande des années 1600. Ce type d’orgue, très moderne pour la France du tout début du xviie siècle, annonçait déjà les canons à venir de l’orgue classique français ; et c’est depuis Rouen, sous l’influence de Titelouze et des facteurs Crespin Carlier, Nicolas Barbier, Pierre Le Pescheur, Matthieu Langedhul ou Guillaume Lesselier, que ces instruments très complets furent diffusés dans toute la Normandie, en Île de France, et jusqu’à Amiens, Saint-Quentin ou encore Poitiers.

Il ne reste malheureusement plus d’orgue intégralement conservé de cette esthétique mais la lecture des traités (Mersenne) et l’observation des nombreux reliquats conservés çà et là suscitent un véritable engouement pour cet âge d’or de la facture d’orgue, au point que de grands instruments construits suivant les paramètres connus de ce style voient aujourd’hui le jour, en raison de leur grande polyvalence.

Ce fut le cas de l’orgue de l’église Notre-Dame de Champcueil, dans l’Essonne, achevé par Dominique Thomas et son équipe en 2008-2009 et inauguré en 2010. Cet instrument mésotonique de 32 jeux contient la plupart des ingrédients de l’orgue Carlier (1601) touché jadis par Titelouze à la cathédrale de Rouen : les consorts complets de Flûtes et de Principaux avec leurs jeux de Quintes respectifs, un Plenum sur Montre de 16 pieds auquel peut s’adjoindre une Tiercelette, une Flûte d’Allemand (décrite dans le traité de Marin Mersenne, « à biberons »), des anches colorées copiées sur des modèles flamands de la fin de la Renaissance dans les Pays-Bas méridionaux et à Pistoia, enfin un jeu de Quintadine caractéristique de cette école (en 4′), appelé à disparaître très tôt en France mais qui restera omniprésent dans le Nord de l’Europe (en 8′).

Composition de l’orgue de Champcueil
Dominique Thomas 2008-2010
i Positif de socle ii Grand-orgue iii Récit Pédale
Bourdon 8
Montre 4
Flûte d’Allemand 4
Nasard 223
Doublette 2
Tierce 135
Larigot 113
Fourniture iv
Cromorne 8
Montre 16
Montre 8
Flûte à cheminée 8
Prestant 4
Quinte 223
Doublette 2
Tiercelette 135
Fourniture iv
Cymbale iii
Cornet v d. ut3
Trompette 8
2e Trompette 8 d. ut3
Voix humaine 8
Bourdon 8
Quintaton 8
Flûte conique 4
Flûte ouverte 2
Sifflet 1
Sexquialtera ii
Dulciane 8
Montre 16 *
Flûte ouverte 8
Dulciane 24
Trompette 12


* = jeu du GO
I/II – III/II – I/P – II/P – III/P – III/P en 4′ – Tremblant – Rossignol
415 Hz pour le la3 – Tempérament mésotonique à 10 tierces majeures pures
Étendue des claviers manuels : 61 notes Ut1-fa5 sans Ut♯1, avec doubles feintes sur les sol♯ (la♭) et sur les mi♭ (ré♯).
Étendue du pédalier : 38 notes Fa0-fa3 sans Fa♯0, Sol♯0 et Ut♯1, avec doubles feintes sur les sol♯ (la♭) et sur les mi♭ (ré♯).
Détail des claviers de l’orgue.
Les claviers à doubles feintes
© Manufacture Thomas / C. Gillot

Presse

 
Couacs. Logo.

[…] Ces Messes retrouvées font l’objet de deux superbes enregistrements par l’ensemble Les Meslanges, dirigé par Thomas Van Essen et Volny Hostiou, avec l’organiste François Ménissier. […]

La composition de chaque disque est la même : deux messes (une à 4 voix, l’autre à 6 voix), une hymne pour orgue et un Magnificat pour orgue. Les effectifs vocaux, à un par partie ainsi que cela était pratiqué à l’époque, sont doublés par des instruments qui viennent renforcer les couleurs des voix. Ce n’est pas le moindre mérite des Meslanges que de parvenir à cet équilibre difficile. Les chanteurs sont d’une justesse impeccable, sans aucun vibrato mais avec des couleurs vocales chaleureuses et expressives. Les chœurs instrumentaux sont eux aussi exemplaires, qu’il s’agisse des violes ou de l’ensemble cornets/saqueboutes/serpent. Quant à François Ménissier, sur le très bel orgue construit en 2010 par Dominique Thomas à Champcueil (Essonne), il est en totale symbiose avec les voix dans la façon de « dire » la phrase musicale dans les pièces alternées.

Une très grande réussite dont il faut saluer tous les acteurs, du musicologue-chercheur aux interprètes, en passant par les rédacteurs des livrets, documentés et passionnants.

Le 13 avril 2021, par Jean-Paul Combet
… lire l’intégralité de l’article sur COUACS. Chroniques pas classiques.
5 de Diapason. Logo.

[…] Les Meslanges ont l’enthousiasme des défricheurs. La doublure des voix par des cornets, sacqueboutes, serpent ou violes crée de riches couleurs, sans jamais masquer la profération d’un texte savamment prosodié qui est leur raison d’être. Dans ce contexte, les pièces d’orgue prennent un sens nouveau, d’autant que le Magnificat se voit alterné non avec du plain-chant monodique, mais avec de la polyphonie (Bournonville, 1614). C’est donc la même musique qui circule du lutrin à la tribune, les accents des voix trouvant une subtile équivalence dans les articulations et l’ornementation qu’ajoute François Ménissier selon les préceptes de l’auteur. La cohérence est telle qu’au détour d’un enchaînement, le miracle se produit : la première note de l’orgue semble sortir d’un gosier…

Vincent Genvrin, Diapason de janvier 2021
La Clef ResMusica. Logo.

[…] Suite et fin de l’enregistrement des quatre messes de Jehan Titelouze retrouvées à Paris en 2016, avec ici la Messe à six voix Simplici Corde et la Messe à quatre voix Votiva. Ces deux œuvres sont présentées en alternance avec le Magnificat du cinquième ton et l’hymne Annue Christe, tous deux tirés du Livre d’orgue du maître de Rouen.

À propos des deux œuvres pour orgue, on entendra l’alternance du plain-chant pour le Magnificat grâce à des polyphonies de Jean de Bournonville (1585-1632) et pour l’hymne Annue Christe les mélodies chantées en monodie, soutenue par le serpent. On est frappé par certaines allusions explicites concernant la symbolique musicale se rapportant aux textes : Le dernier verset de Annue Christe en guise d’Amen fait entendre une note aiguë continue bloquée sur le clavier, symbolisant vraisemblablement la présence du sauveur veillant depuis les cieux sur l’humanité. D’autres compositeurs ont utilisé cet artifice dont Frescobaldi dans ses Fiori musicali.

Comme dans le premier volume, l’interprétation de l’ensemble Les Meslanges que dirige magistralement Thomas Van Essen et de l’organiste François Ménissier se situe à un très haut niveau, ce qui est une chance et permet d’entendre ce répertoire avec une approche judicieuse et informée. Le choix de l’orgue de Champcueil, tout à fait dans le style des orgues de l’époque de Titelouze, est l’un des meilleurs spécimens apte à traduire au plus près ces pages qui demandent des climats et des timbres bien spécifiques. Titelouze disposait à la cathédrale de Rouen d’un grand orgue de 16 pieds, ce qui se retrouve ici et paraît indispensable pour une bonne exécution. […]

Le 9 novembre 2020, par Frédéric Muñoz
… lire l’intégralité de l’article sur ResMusica